La médisance et la désignation d’ennemis : une fonction évolutive

La médisance des femmes

Observez un groupe de babouins lorsqu’un prédateur s’approche. En un instant, les cris d’alerte retentissent, le groupe se resserre, les mâles dominants prennent position aux frontières. Face à la menace commune, les rivalités internes s’effacent temporairement au profit d’une cohésion salvatrice. Cette réaction, inscrite dans la nature même des espèces sociales, nous rappelle une vérité parfois inconfortable : l’identification d’une menace extérieure a toujours été un puissant moteur de cohésion.

Ce phénomène se manifeste chez l’humain de façon plus complexe et subtile, notamment à travers deux comportements souvent considérés comme négatifs : la médisance à l’échelle individuelle et la désignation d’ennemis à l’échelle collective. Et si ces comportements, malgré leurs aspects sombres, avaient joué un rôle fondamental dans notre évolution en tant qu’espèce sociale ?

La médisance : un outil d’apprentissage social

L’intelligence sociale en action

La médisance, cette conversation à propos d’une personne absente, est universellement pratiquée mais rarement perçue sous l’angle de son utilité évolutive. Pourtant, elle représente une forme sophistiquée d’intelligence sociale qui permet plusieurs fonctions essentielles.

Partager des informations sur les comportements d’autrui nous aide à identifier les normes sociales sans avoir à les tester personnellement. En écoutant les récits sur les erreurs ou transgressions des autres, nous affinons notre compréhension des comportements acceptables ou risqués sans subir directement les conséquences.

Comme l’a observé l’anthropologue Robin Dunbar, les humains consacrent près de 65% de leurs conversations à parler d’autres personnes. Ce n’est pas un hasard – cette pratique nous permet d’accumuler une vaste bibliothèque de connaissances sociales.

Le test de confiance

Lorsque nous partageons des informations potentiellement sensibles sur autrui, nous testons également la discrétion et la loyauté de notre interlocuteur. « Si je te confie ceci sur Pierre, me trahiras-tu en partageant à ton tour des informations sur moi ? » Cette dynamique implicite permet de cartographier notre réseau social selon les degrés de confiance.

La création de liens

Paradoxalement, parler ensemble d’une personne absente renforce le lien entre les interlocuteurs présents. Ce phénomène s’observe même chez certains primates comme les macaques, où les alliances se forment souvent autour de l’opposition à un tiers.

La désignation d’un ennemi : ciment social du groupe

Une stratégie ancestrale de survie

À l’échelle d’un groupe, d’une communauté ou d’une nation, la désignation d’un ennemi commun remplit des fonctions similaires mais amplifiées. Les dauphins, ces mammifères marins hautement sociaux, peuvent collectivement ostraciser un individu spécifique, montrant que cette dynamique d’inclusion/exclusion existe bien au-delà de l’espèce humaine.

Dans notre histoire évolutive, les groupes capables de s’unir rapidement face à une menace avaient un avantage considérable. Une réaction collective coordonnée contre un prédateur, un groupe rival ou une catastrophe naturelle augmentait significativement les chances de survie.

La clarification des frontières identitaires

« Nous ne sommes pas comme eux » – cette simple distinction clarifie instantanément les frontières du groupe et renforce le sentiment d’appartenance. La présence d’un « autre » permet de cristalliser l’identité collective par contraste.

Les études anthropologiques montrent que les sociétés humaines définissent souvent leur identité autant par ce qu’elles rejettent que par ce qu’elles embrassent. Cette définition par opposition a l’avantage d’être immédiatement compréhensible et émotionnellement mobilisatrice.

L’accélérateur de coopération

La perception d’une menace commune agit comme un puissant catalyseur de coopération. Des expériences en psychologie sociale ont démontré que des groupes confrontés à un défi externe augmentent significativement leur niveau de collaboration interne, parfois en transcendant des divisions qui semblaient auparavant insurmontables.

La soupape des tensions internes

Désigner un adversaire extérieur permet également de détourner l’attention des tensions internes qui pourraient fragiliser le groupe. Ce mécanisme, que les psychologues nomment parfois « déplacement d’agression », fonctionne comme une soupape de sécurité pour les frustrations collectives.

Chez les babouins, les périodes de stress environnemental (comme la rareté des ressources) s’accompagnent souvent d’une vigilance accrue envers les groupes voisins, réduisant temporairement les conflits internes pour renforcer la cohésion face à la menace externe perçue.

L’ombre de ces mécanismes

La distorsion et l’amplification

Si la médisance peut servir à transmettre des informations sociales utiles, elle peut aussi rapidement se transformer en outil de destruction. L’information partagée subit souvent une distorsion progressive – chaque transmission ajoutant sa propre interprétation, accentuant certains aspects, en omettant d’autres. Ce qui commence comme un partage d’information peut devenir une campagne de démolition réputationnelle.

De l’adversaire à l’ennemi déshumanisé

De même, la désignation d’adversaires glisse facilement vers la déshumanisation. L’histoire humaine regorge d’exemples où la perception d’une menace externe a justifié les pires atrocités. Le mécanisme qui servait initialement la survie du groupe devient alors un instrument de destruction massive, physique ou psychologique.

La manipulation par les structures de pouvoir

Ces mécanismes évolutifs peuvent être délibérément exploités. Les pouvoirs en place ont souvent recours à la désignation d’ennemis extérieurs pour détourner l’attention de problèmes internes, consolider leur autorité ou justifier des mesures d’exception. Cette instrumentalisation transforme un mécanisme adaptatif naturel en outil de manipulation sociale.

Une lecture psychonaturaliste

À travers le prisme des quatre éléments

Dans l’approche psychonaturaliste, ces comportements peuvent être analysés à travers les quatre éléments fondamentaux :

  • Feu : L’énergie mobilisatrice de la désignation d’ennemis, qui enflamme le groupe et catalyse l’action
  • Air : La circulation des informations à travers la médisance, qui crée des réseaux invisibles d’influence
  • Eau : Les émotions collectives qui s’amplifient et se propagent, créant des courants de sentiment partagé
  • Terre : L’ancrage identitaire qui résulte de ces processus, renforçant la structure et les frontières du groupe

L’équilibre des forces et contre-forces

Ces mécanismes fonctionnent selon des principes de balancier. Une cohésion excessive peut mener à l’isolement et au dogmatisme, tandis qu’une ouverture sans discernement peut diluer l’identité et fragiliser le groupe. Dans la nature, tout excès génère sa propre correction – une leçon que nos sociétés gagneraient à méditer.

Vers une utilisation consciente

Reconnaître sans juger

La première étape vers une relation plus consciente avec ces mécanismes consiste à les reconnaître en nous sans jugement moral. Ces tendances ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi – elles ont servi notre survie collective pendant des millénaires et continueront d’influencer notre psychologie sociale.

Transformer l’instinct en discernement

L’évolution de la conscience nous permet de transformer ces impulsions primitives. La médisance peut devenir un partage d’information responsable et bienveillant. La vigilance face aux menaces externes peut s’exercer sans déshumaniser l’autre.

Cultiver la cohésion positive

Le plus grand défi consiste peut-être à développer des sources de cohésion qui ne reposent pas sur l’opposition à un ennemi commun. Les valeurs partagées, les objectifs collectifs inspirants, les rituels rassembleurs peuvent tous créer du lien sans nécessiter d’adversaire.

Au-delà de la dualité ami/ennemi

Notre évolution prochaine nous invite à transcender la pensée binaire qui a longtemps structuré notre perception du monde social. Comme l’illustre la sagesse taoïste, l’ombre et la lumière sont deux aspects d’une même réalité. Reconnaître la complexité de l’autre – y compris de celui que nous percevons comme adversaire – est une étape cruciale vers une conscience plus intégrative.

Conclusion

La médisance et la désignation d’ennemis sont des comportements profondément ancrés dans notre héritage évolutif. Ils ont joué un rôle essentiel dans notre survie collective, nous permettant de partager des informations sociales cruciales et de mobiliser rapidement les énergies face aux menaces.

Cette compréhension n’excuse pas les dérives destructrices de ces mécanismes, mais elle nous permet de les aborder avec plus de lucidité. En reconnaissant leur fonction originelle sans jugement, nous pouvons aspirer à une utilisation plus consciente et éthique de ces puissantes forces sociales.

La sagesse psychonaturaliste nous rappelle que nous sommes à la fois nature et conscience. Notre instinct nous a guidés jusqu’ici ; notre conscience éveillée peut maintenant nous guider plus loin, vers des formes de communauté qui honorent à la fois notre besoin d’appartenance et notre capacité d’inclusion.

« La médisance et la désignation d’ennemis sont comme le feu : d’excellents serviteurs mais de terribles maîtres. À nous d’apprendre à les utiliser avec discernement. »

Philippe Ruiz psychonaturaliste-ésonaturaliste

Des conseils et des solutions issus de la nature, de ses cycles, de ses lois…

« La Nature nous offre des solutions concrètes pour tous les aspects de notre vie. Le Psychonaturalisme est la clé pour les mettre en œuvre efficacement dans notre quotidien. »




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